«
C'est une fille ! ». Johanna Hayes venait de pousser un cri de douleur terrifiant. Mais à l'instant où ses yeux se posèrent sur le bambin, elle en oublia la souffrance et se mit à rire comme une enfant. «
Anastasia. » «
Comme le film ? » Mais déjà la douleur reprenait et après trois minutes plus qu'éprouvantes pour la jeune femme de seulement dix-neuf ans, le médecin se répéta : «
C'est une fille ! ». A nouveau, Johanna rit, les larmes aux yeux. «
Aurora. » «
Comme le conte ? » La jeune femme acquiesça, à bout de souffle. Ses deux petites princesses étaient enfin de ce monde.
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Anastasia poussa un long soupir. Ses yeux balayèrent la pièce en désordre, puis s’arrêtèrent sur sa mère, qui était affalée sur le canapé de tout son long, deux bouteilles de whisky vides sur la table basse, dormant à poings fermés. Oui, Johanna était alcoolique, elle l'avait d'ailleurs toujours été. Mais jamais elle n'avait été désagréable ou violente avec ses filles, au contraire, elle ne s'était jamais réellement occupée d'elles. C'est pourquoi elles furent élevées par leur tante, Gabriella, la sœur de leur mère, qui avait toujours vécu avec elles, car celle-ci avait su, au moment où les deux gamines étaient nées, que Johanna n'y arriverait jamais. D'autant plus qu'elle était seule, sans emploi, sans mari, sans petit ami. Gabriella la soupçonnait même d'ignorer qui était le père des deux petites, même si Johanna continuait à lui répéter qu'elle savait, mais qu'elle ne lui dirait pas. Oui, une vraie gamine. Inconsciente. Présente, mais dépendante. Elle n'était pas une mère, elle ne l'avait jamais été.
Anastasia allait encore une fois devoir faire tout le ménage, seule. Gabriella avait succombé l'an dernier à une maladie rare, et la jeune blonde n'en savait pas davantage car celle-ci avait toujours voulu les protéger, elle et sa sœur, et ne leur avait pas dit qu'elle était souffrante, ou plutôt mourante. Ce fut un coup dur pour les deux blondes, même si Aurora refusait de l'admettre. Anastasia était beaucoup plus démonstrative que sa sœur, beaucoup plus sensible, les larmes lui montant très facilement aux yeux, son visage, tout comme ses mots, exprimaient toujours ce qu'elle ressentait. On la disait d'ailleurs trop franche, mais peu lui importait, elle n'avait pas envie de tricher. La vie était trop courte, il ne fallait pas faire semblant.
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«
Que s'est-il passé ? AURORA ! Réponds-moi bon sang ! Où est maman ? ». Anastasia venait de rentrer dans la chambre de sa sœur jumelle en trombe, comme une furie. Aurora était assise au sol, et ses mains cachaient son visage. Folle de rage, Anastasia découvrit le visage de sa sœur. Ses yeux faisaient froid dans le dos. Ils fixaient un point sans le voir. Jamais elle n'avait vu sa sœur dans un tel état de choc. Alors elle comprit et se mit à parler : «
Elle avait bu ... ». Mais ne finit jamais sa phrase et s'effondra au sol, elle aussi, les larmes coulant à flot sur ses joues. Elle tendit la main vers sa sœur, mais celle-ci se dégagea. «
Ce n'est pas ta faute. Elle était inconsciente, elle ... » Mais elle ne savait pas quoi dire, elle était sous le choc elle aussi. Elle répéta tout de même à sa sœur : «
Ce n'est pas ta faute. Ce n'est pas ta faute. » Mais Aurora était déjà ailleurs, elle était perdue elle aussi. Et Anastasia ignorait à quel point elle se trompait.
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Un mois s'est écoulé depuis l'accident, et Anastasia se sent perdue, elle ne comprend pas. Elle n'a pas partagé une seule vraie conversation avec sa sœur depuis ce jour, qui trouve toujours un prétexte pour l'éviter. Anastasia se sent désorientée, au bord du gouffre.
Finalement, sa vie n'est pas un conte de fée.